Première Partie - Corps instrument

Dans le contrepoint de formes qui est une organisation contrapuntique des formes imaginales sonores et textuelles, j’utilise différentes techniques de composition et d’orchestration mettant en jeu la perception et la réactivité du ou des interprètes[1]. La forme générale d’une œuvre, quelle que soit sa durée, est déterminante. Elle représente l’architecture générale de l’édifice. C’est sur cette structure rigoureuse que la spontanéité des interprètes-improvisateurs pourra s’exprimer. Leur rencontre quasi permanente avec l’aléa est garante du caractère original et non reproductible de l’œuvre qui se développe dans sa propre temporalité sans possibilité de retour. Toutefois, le mécanisme qui alimente mon concept Processus de mémoire[2] qui agit à la source de l’élan créatif mis en place dans cet atelier, est un système compositionnel à part entière.
Dans la première partie intitulée : Corps-Instruments, j’expérimente plusieurs façons de produire une orchestration sonore et imaginale cohérente et spontanée à partir d’un constat spécifique : dans un duo musique-danse de type une danseuse et un violoncelliste[3]. Dans ce mode de jeu, nous avons plastiquement trois corps proposés au regard ; deux sont de chair, un troisième est un corps-objet. Comment par une utilisation particulière de ce corps-objet, le duo initial peut devenir trio, sera le fondement de cet atelier ?

A travers des types de jeux contraignants, le processus utilisé traite d'une manière naturelle[4] les différents possibles entre gestes et sons, dans une pratique de composition en temps réel.
Le poète-pluriel en tant que concepteur-réalisateur-interprète, agit sur le son, le mouvement et le texte avec une conscience de mise en scène spontanée. Il élabore de fait une scénographie-chorégraphie en temps réel. Cet acte artistique considéré ici dans sa faculté à réunir est produit par la nécessité née de l'inspiration, que l’état de méditation quasi permanente du poète convoque. 

Présentation et mise en œuvre
J’ai préalablement composé[5] 16 propositions de jeu structurant l’espace, le mouvement, les énergies, les qualités et le rapport entre les actants, le tout dans une temporalité définie. Ces « propositions à contraintes » remplacent la partition. Ce système à l’avantage de construire une forme rigoureuse sans limiter l’inventivité des interprètes-improvisateurs dont je définirai en quelques mots la fonction.
L’interprète-improvisateur est un « herméneute » messager du « propositeur », il donnera sa version de la proposition (partition). Créateur agissant en temps réel, il se doit d’être à l’écoute holiste du « monde[6] ». Il est un récepteur-émetteur d’une énergie plurielle, qu’il perçoit dans la subtilité des états qu’il alchimise à l’écoute de son ou de ses partenaires. Son acte spontané se développe à partir d’une source perceptive induite par la proposition compositionnelle qui en définit l’angle de développement artistique. 
Mettre en pratique ce processus complexe nécessite une compétence particulière qui s’acquiert par une pratique régulière comparable à celle des gammes pour un musicien instrumentiste. Pour être un interprète juste et non juste un interprète, l’improvisateur doit préparer son physique et son mental. Méditation et respiration rythmique l’accompagnent quotidiennement dans la pratique de sa spécialité (instrumentale, vocale, corporelle). 
J’appelle source perceptive la conscience de l’instant particulier qui fort de ses spécificités vibratoires, émotionnelles, culturelles, physiologiques, sociopolitiques, produira la scintillation[7] nécessaire qui nourrira l’improvisation. Cette source est convoquée par l’improvisateur, avant l’effectuation de la proposition. Celle-ci fonctionne comme une partition structurant l’espace, le temps, le mode de jeu, les nuances et le caractère de l’œuvre à venir. Le temps de l’acte artistique est ici considéré comme une fixation temporelle, un instant d’éternité comme pourrait le dire Spinoza, ce hors-tout (hors-lieux, hors-temps) est une fixation fulgurante où l’énergie réinvente un paysage de fantaisie.
Bien sûr, nous sommes dans le domaine de l’art, non de la science et l’art relève d’une faculté à percevoir pleinement subjective, elle n’est nullement normalisable et engendre la poésie en tant que créativité de la différence. Il est toutefois étonnant de constater que dans la résonnance de connaissances très anciennes (15 siècles avant JC environ pour les Védas (culture indoeuropéenne), 5 siècles avant JC pour Confucius et Lao Tseu (culture chinoise)), certaines pensées ou théories de philosophes et de physiciens occidentaux, évoluaient ou évoluent encore dans des états voisins : Spinoza dans le cinquième cahier de l’éthique, les phénoménologues dans leurs approches de la perception, et plus récemment les théories développées dans le champ de la physique quantique. La créativité prend bien des chemins de libres associations pour de possibles mariages entre poésie et sciences.

Dans le cadre de l’atelier de création Corps-Instruments, voici une série de propositions réalisées avec comme partenaire, une spécialiste du mouvement : Nicole Harbonnier. 


Déroulement de l’atelier

Les propositions de jeu sont réalisées sans aucune préparation. Elles sont filmées afin que je puisse avoir le regard extérieur nécessaire à l’analyse et à la théorisation du système.

Chacun s’échauffe selon ses habitudes et entre en acte toujours avec le même rituel qui se résume à la lecture des consignes de la proposition et à la mise en marche de la caméra qui fixera la réalisation de l’expérience.

Lorsque nous éprouvons le besoin de parler de l’acte qui vient de se jouer[8], nous prenons quelques minutes pour échanger nos ressentis avant ou après le visionnage de la vidéo.

Ensuite commence pour moi, un long travail d’analyse sur chaque réalisation avec un questionnement à propos des potentialités d’un tel travail.
C’est dans cette optique que je monte les captations filmiques, certaines comme matériaux de réflexion, d’autres comme réalisations artistiques témoins. À la lecture des films, je réagis quelquefois poétiquement aux univers que je découvre dans une nouvelle perception, en écrivant des chroniques-flashs énigmatiques et/ou aphoristiques.

J’utiliserai certains de ces matériaux pour étayer la partie de ma recherche concernant la perception et la transmission, envisagées comme vibrations créatrices à l'écoute croisée des actants et du lieu spécifique dans lequel ils opèrent, soumis à une série de contraintes compositionnelles. 
La partie expérimentation de la première partie de cet atelier s’est déroulée à l’UQAM durant le mois de juin 2019.

Le résultat de ce travail artistique et réflexif est visible sous forme de films vidéo. Cette matière première ciblée est l’objet de ma réflexion théorique entre son et mouvement qui entre dans le champ de ma recherche doctorale sur le contrepoint de formes.

Dans l'atelier de création AJ - Corps-instruments, le musicien n'est pas un musicien-danseur, le danseur n'est pas un danseur-musicien. Nous sommes dans une abstraction gestuelle qui engendre une plastique sonore comme nouvelle forme où le geste et le son sont complémentaires.Par la simplicité apparente de sa production, ce matériau privilégié combinable à d'autres champs (textuel, sténographique, filmique...) sert pleinement la mise en place d'un contrepoint de formes. 

Dans une approche prospective, le développement artistique filmique de l’expérience pourra servir le spectacle vivant, la performance, l’installation d’art visuel ou le film d’art. 


La création spontanée
Proposition de contraintes génératives confrontant le corps-instrument (violoncelle, tambour pakistanais, flûte de bambou) aux corps de chair.
Une série d’expérimentation, pour deux improvisateurs : un musicien (violoncelle, tambour, flûtes) et une danseuse ; soit esthétiquement minimum trois corps (2 corps de chair + un corps-objet) et plus lorsque d’autres objets sont présents comme des chaises ou des pièces de tissus par exemple.
Cette forme (proposée à des improvisateurs affranchis), révèle la force et l’efficacité d’un processus compositionnel dont la sobriété mise en partage, convoque l’avènement d’un égo pluriel transcendantal, une intersubjectivité au service d’un projet commun.



[1] Les interprètes étant les orchestrateurs en temps réel d’une composition ouverte proposée sous forme de consignes.
[2] C’est le ferment de l’identité. Un processus que je recompose artificiellement par des réservoirs et des tamis « euphémisant » ou exacerbant les glissements de phonèmes, de mots, d’idées de concepts artistiques, de couleurs et de formes qui nourrissent mon travail de poète pluriel. 
[3] Le violoncelle par sa forme et sa taille est un instrument privilégié de l’expérience, mais tous les instruments, quelle que soit leur forme peuvent y participer. Le résultat tout aussi intéressant sera autre. On le vérifiera par exemple avec l’emploi du tambour Pakistanais (proposition 27 et 28 : aspiration2 et Bigidi).
[4] Naturel dans le sens de ce qui s’impose sans calcul ni préméditation, ici et maintenant.
[5] Entendre ce terme dans le sens de structuration d’état, de style et de temporalité sous la forme de propositions.
[6] Le monde de l’action, c’est-à-dire les êtres et les choses en présence dans l’horizon de l’espace de jeu.
[7] Mot emprunté à Stéphane Mallarmé. 
[8]L’acte qui vient de se jouer et non que nous venons d’accomplir, car l’improvisateur agit sans volonté, il n’est qu’un transmetteur de l’énergie qu’il capte et qu’il met au service de la proposition.



Énoncé des propositions expérimentées



1 : Côte à côte
Les deux actants sont assis chacun sur leur chaise.
Action : sans quitter les chaises, inverser les positions (celui qui était à droite finit à gauche et inversement) avec un climax situé dans la fusion, au croisement de la translation. Durée globale 3 minutes environ.
Films témoins :
Proposition n°1 - Côte à côte1 : https://vimeo.com/355718607
Proposition n°2 - Côte à côte2 : https://vimeo.com/355720663

2 : Adossement 
  -Instrumentiste assis avec instrument en position de jeu.
  -Danseuse assise sur l’autre chaise.
Action : sans quitter le contact (rester en contact avec une chaise ou les deux), intervertir les positions des actants. Durée de la manœuvre : 3 minutes environ.
Films témoins : 
Proposition n°3 – Adossement 1: https://vimeo.com/355723787
Proposition n°4 - Adossement 2 : https://vimeo.com/355725365

3 : Chaise mobile
Les 2 actants commencent debout derrière les chaises. 
Action : prendre possession des chaises dont l’une reste immobile alors que l’autre doit être en constant mouvement.
Finir assis chacun sur une chaise. Durée 3 minutes (espace médium ou serré). 
Films témoins : 
Proposition n°5 - Chaise mobile1 :  https://vimeo.com/355732500
Proposition n°6 - Chaise mobile 2 : https://vimeo.com/355728653



            4 : Deux Chaises mobiles
Les 2 actants commencent debout en face des chaises.
Action : prendre possession des chaises qui doivent entrer en constant mouvement. Finir assis chacun sur une chaise. Durée 3minutes (espace médium ou serré). 
Film témoin :
Proposition n°7 - Chaises mobiles 3 : https://vimeo.com/355732094

5 : Aux pieds
-Instrumentiste assis en position de jeu.
-Danseuse assise aux pieds de l’instrumentiste (de dos ou de face).
Action : la danseuse doit s’installer sur la chaise (l’investir), situation de partage d’espace, non de conflit. Durée 3 minutes (espace serré).  
Films témoins : 
Proposition n°8 - Aux pieds1 :  https://vimeo.com/355739809
Proposition n°9 - Aux pieds2 : https://vimeo.com/355741019

6 : Rencontre paradoxale[1]
Action : se rencontrer sans se toucher (s’éviter mais en créant le contact). Durée 3minutes.
Quatre propositions : espace serré / espace médium / espace large / espace mixte (large-serré- médium).
Films témoins : 
Proposition n°10 - Rencontre-espace large : https://vimeo.com/355741780
Proposition n°11 - Rencontre-espace medium : https://vimeo.com/355742378
Proposition n°12 - Rencontre-espace serré : https://vimeo.com/355743056
Proposition n°13 - Rencontre-espace mixte :  https://vimeo.com/355942357
7 : Accelerando
Contact constant.
Action : dans un mode d’évolution en accélération (de lent à vif). Durée : 3 minutes.
Film témoin : 
Proposition n°14 - Accelerando : https://vimeo.com/355743808

8 : Decelerando
Contact constant
Action : dans un mode d’évolution en décélération (de vif à lent). Durée 3’
Film témoin : 
Proposition n°15 - Decelerando : https://vimeo.com/355943410

9 : L’être entre 1
Opposition partielle. Le corps du danseur évolue quelques fois entre les cordes et l’archet du violoncelliste.
Action : jeu libre en duo. Les gestes (corps dansé) et les gestes producteurs de son (instrumentiste) cohabitent pour développer un langage. Le jeu se situant dans l’espace entre les cordes et l’archet, reste léger et sporadique. Il est interactif. Durée 3minutes.
Film témoin : 
Proposition n°16 - L’être entre1 :  https://vimeo.com/355944620

10 : L’être entre 2
Opposition fréquente dans l’espace de jeu (situé entre les cordes et l’archet).
Action : jeu libre en duo. Dans cette version, les situations contraignantes d’impossibilités à contourner, à détourner sont plus nombreuses. Durée 3 minutes
Film témoin :
Proposition n°17 - L’être entre 2 : https://vimeo.com/355946031


11 : Scintillation fantomatique
Circularité
Action : toute action nait de, ou aboutit à un geste courbe comme intention de volte(s). Espace Médium, large, serré, mixte (évolutif).
Soit 4 séquences de 2 minutes.
Films témoins :
Proposition n°18 – Scintillation fantomatique1 https://vimeo.com/355947021
Proposition n°19 – Scintillation fantomatique 2 https://vimeo.com/355948897

12 : De la délicatesse
Action : Dans une nuance située entre piano et mezzo forte, tout en subtilité timbrale, gestes libres mais délicats dans le large comme dans l’étroit, voire l’esquisse. La danse commence au sol, puis s’élève jusqu’à fusionner avec la musique et son incarnation (caresses, enlacements…). Durée : 3’
Films témoins :
Proposition n°20 - De la délicatesse 1 : https://vimeo.com/355949779
Proposition n°21 - De la délicatesse 2 : https://vimeo.com/355951988

13 : Accents-coulés
Action : Mutation. À partir d’accents, aller progressivement vers des gestes coulés, enroulés. Durée : 3’
Film témoin : Proposition n°22 - Accents – coulés :https://vimeo.com/355953331

Propositions réflexives
 Nous rejouons les propositions après plusieurs jours comme s’il s’agissait de nouvelles pièces. Je rajoute toutefois pour certaines d’entre-elles, la notion de complémentarité qui consiste à jouer la proposition deux fois sans interruption réelle (seulement le temps de changer de costume ou d’instrument). La deuxième interprétation étant la complémentarité de la première comme si nous étions les deux autres membres d’un quatuor mixte (2 danseurs et 2 musiciens) qui aurait le privilège de maîtriser le temps. 
Je superposerai lors du montage filmique les deux prises afin d’entendre et de voir ce quatuor en partie « fantomatique ». 

14 : Duo de mémoire - 1+1=2
Action : Deux courts soli enchaînés, puis les solistes rejouent en duo sur la mémoire de leur construction précédente.  Si des rencontres pertinentes s’opèrent, possibilité de saisir l’instant et de l’exploiter courtement pour ne pas déroger à la structure originelle. Durée : libre
Film témoin : proposition n°23 - Duo de mémoire https://vimeo.com/355954701

15 : À Mer
Action : la rotondité, l’élan courbe
Durée : 3 à 4 minutes
Film témoin : Proposition n°24-A Mer : https://vimeo.com/357173090

            16 : Accelerando-Decelerando
Action : jeu libre en accélérant puis en ralentissant.
Durée : 4 minutes.
Film témoin : Proposition n°25-Accel-Decel : https://vimeo.com/357173890

17 : Aspiration
Action : la danse est aspirée vers la musique jusqu’à fusion
Durée : 3 minutes.
Films témoins :
Proposition n°26-Aspiration1 : https://vimeo.com/357175446
Proposition n°27-Aspiration2-récurrence : https://vimeo.com/357176144

18 : Bigidi[2] mais ne pas tomber (dédié à Lena Blou) 
Action : Travail sur le déséquilibre générateur de mouvements et de sons. 
Durée : 3’
Film témoin : Proposition n°28-Bigidi : https://vimeo.com/357176948

19 : De mémoire vive
Action : idem que la proposition Côte à côte mais en utilisant le processus de mémoire. Jouer deux fois la proposition, la deuxième dans la complémentarité mémorielle de la première. 
Durée : 3’
Film témoin : Proposition n°29-De mémoire vive : https://vimeo.com/357178408

20 : Dos à dos- quatuor et sextuor
Action : même traitement que dans la proposition précédente à partir de Dos à dos 
Pour obtenir le sextuor, nous devons jouer (dans la continuité) 3 fois la proposition en s’appuyant sur la mémoire de nos actions précédentes
Films témoins :
Proposition n°30-Dos à dos quatuor : https://vimeo.com/357179440
Proposition n°31-Dos à dos sextuor : https://vimeo.com/357180786

             21 : Pour Luca (Poème AJ en hommage à Ghérasim Luca)
Action : Le contact générateur de l’élan poétique. Le texte survient sans préparation. L’état des interprètes est déconnecté du thème poétique qu’ils ne connaissent pas encore, car le texte surgira de la mémoire « mystérieusement ».
Les actants devront alors évoluer progressivement et finir par épouser la thématique du poème. Durée libre 
Film témoin : Proposition n°32-Pour Luca : https://vimeo.com/357181815

22 : Quatuor Abeilles
Action Côte à côte, face et dos, joué deux fois dans la complémentarité mémorielle.
Film témoin : Le traitement filmique intègre le quatuor à un évènement naturel et poétique
Proposition n°33-Quatuor aux abeilles : https://vimeo.com/357183241



23 : Rencontre
Action improviser une rencontre en utilisant les espaces : larges, médiums et serrés. Durée : 3minutes
Film témoin : 
Proposition n°34-Rencontre :  https://youtu.be/1_TFze771_I

24 : Valse Blanche
Action Travailler en duo sur le geste courbe jusqu’à la volte, dans des costumes évocateurs où le blanc domine. Durée : 4minutes
Film témoin :
Proposition n°35-Valse blanche : https://youtu.be/Ed_kG5VvmdU



Quelques commentaires réactifs après le jeu.

Une expérience phénoménale d’un comportement artistique confronté à une résonance analytique intersubjective (les actants devenant observateurs de leurs productions).

Côte à côte
Nicole : Glissement quasi permanent naturel au contact de l’objet, travail d’équilibre sur une variation constante de points d’appuis, perception ininterrompue de l’autre et des objets.
Alain : Bonne perception du déroulement, la durée m’a semblé un peu courte.
La rigueur de la consigne vaut pour écriture de forme, je me sens interprète partant d’un point A allant vers un point B dans une temporalité commune de 3 minutes. Je ressens la présence de l’autre, je glisse sans essayer d’imposer un son ou un geste, je suis au service d’une énergie que je sens commune dans une temporalité préétablie. Les événements surgissent naturellement. Le déroulement intuitif semble commun aux deux personnages, l’écoute est nette sans rupture, ressentie.

Côte à côte2
Nicole : Dans cette proposition, j’ai à un moment rencontré quelqu’un d’autre dans mon corps, quelqu’un dont le faire m’a surprise. C’était étonnant… le contact à l’autre était plus évident sur la fin.
Alain : Impression d’une temporalité trop longue.
Bonne perception d’un sonore bruitiste percussif et rythmique proche des recherches de L.Berio et H.Lachenmann[3], mais sans préméditation puisque naissant d’une nécessité de situation. Le jeu consiste à accepter l’aléa, à essayer de le gérer positivement, la difficulté survenant de l’instabilité de l’instrument qui glisse, interdisant un jeu stable. Le blocage de la pique par le pied pose un problème physique de crampe qu’il faut gérer. Le mode de jeu dépend de la difficulté de la position de l’instrument sans cesse mouvante à laquelle il faut s’adapter. Le fonctionnement interprétatif y est corrélé. Bonne perception de l’autre. 

Côte à côte 3
Nicole : Me laisser bouger par mon propre mouvement. 
Conscience des images sculpturales des corps (+ violoncelle et chaises).
Suspension dans les airs des antennes d’insectes. 
Alain : bonne perception générale, bonne perception des sculptures sporadiques et de la durée.

Adossement
Pas de commentaires à chaud

Chaise mobile
Nicole : Sensation du violoncelle comme contrepoids. Le rapport à la mobilité de la chaise n’est pas simple. Le fait qu’elle se plie rend l’action difficile. Impression générale poids contre poids, tension, dé-tension. 
Alain : J’ai ressenti vers le milieu du déroulement une rupture esthétique par rapport au pivot de la chaise immobile.

Rencontre paradoxale
Pas de commentaire à chaud
-       Espace large :
Cette configuration favorise dans la scénographie toutes les apparitions que l’on peut mener au cœur même de l’espace scénique. En respectant les distances imposées par la contrainte, il s’agit de rester au contact avec l’autre, le rencontrer de loin en quelque sorte. Potentiellement, c’est l’espace privilégié des effets filmiques simples et purs que l’on pourrait projeter sur le fond de scène.
Réaction :
Pas de difficulté réelle il s’agit d’être rigoureux et à l’écoute. Pour l’instrumentiste la difficulté est encore de bouger, donc de se déplacer en jouant, sachant que le violoncelle nécessite une position assise et un blocage de la pique afin de pouvoir explorer tous les possibles de l’instrument. Ici rien de tout cela n’est réalisable, seul demeure l’intention de faire dans un espace et une temporalité donnée. Le respect rigoureux des consignes produit un mode de jeu atypique né de l’empêchement. On le voit, le résultat sonore n’appartient pas à une abstraction vibratoire émanant d’une décision de l’esprit nourrie par une inspiration de « l’âme ». La cause des effets sonores est provoquée par les seules contraintes auxquelles le corps prisonnier des consignes se résout dans sa rencontre avec l’autre. Une résolution volontaire sans frustration, l’état devenant commun. L’égo en tant que tel n’y a pas de place, il devient transcendantal.  C’est un état de perception cher à Husserl dans son approche de l’épochè où la mise en suspens du « monde » étonnamment réflexif permet la scintillation perceptive (dont parle Mallarmé) à travers une intersubjectivité massique [4] ayant le pouvoir d’annihiler la notion d’objet. Ainsi le corps-objet représenté par le violoncelle devient sujet à part entière, les bornes qui délimitent l’espace de jeu deviennent l’horizon de l’acte artistique.

-       Espace médium
Le mode de jeu est identique à celui émanant d’Espace large, mais la proximité permet d’autres subtilités de réactions ou de non réactions. 
Pas de difficulté nouvelle dans cette interprétation mais d’autres sensations. 
Potentialité prospective : Cette configuration favorise dans le cas d’une scénographie filmique une intégration des personnages. Le jeu est aisé entre les personnages en direct et leur double préalablement filmé ou filmé en direct sur un angle différent.

-       Espace serré
Nous sommes là, dans un rapport plus traditionnel de contact, d’écoute, d’équilibre, de déséquilibre, de poids du corps, de placement : opposition, unisson d’énergie ou de qualité, homorythmie, polyrythmie, toujours sur le mode de la rencontre ici quelquefois fusionnelle. 
C’est un espace qui réunit danseur et musicien dans la notion d’empêchement, car si dans les espaces larges ou médiums, le musicien est empêché de jouer librement par le déplacement, çà n’est pas le cas du danseur. Par contre, dans Espace serré, le contact peut amener les deux parties à être empêchées de faire, et donc, à mettre en œuvre la notion de vouloir qui est absente en situation d’improvisation réalisée dans l’état idoine la permettant. Le jeu est alors traversant, en dehors de toute décision ou volonté individuelle, il relève d’une multitude, d’un jeu-je pluriel (« je est un autre » disait Rimbaud.) L’inspiration ne concerne pas le « je » comme représentation de la spécificité de l’être, mais d’un ou plusieurs autres, traversants en nous, venant d’une transcendance, d’une mémoire originelle où autrui côtoie notre filiation lointaine (enfants des étoiles). Le poète futurien Russe V.Khlebnikov[5] résumait cette conscientisation dans la phrase «  mes frères les arbres, mes sœurs les pierres… ». On trouve aussi ce questionnement chez Husserl, puis d’une autre manière chez Heidegger[6] où le Dasein (l’être-là) est relié impérativement au Mitsein (l’être- avec).

-       Espaces mixtes
C’est la combinatoire des trois qualités d’espaces précédents. Cette configuration permet un mode de jeu plus riche. Tous les possibles de l’approche à la fusion sont envisageables.

Accelerando-Decelerando
Cette proposition présente des difficultés d’interprétation dans la phase très rapide. Il est important de gérer son crescendo d’une manière exponentielle gardant la dynamique très rapide pour les 20 dernières secondes.

L’être entre
Intérêt évident de l’empêchement que produit une contrainte lourde.

Scintillation fantomatique
Commentaires à chaud
-       Espace large
 Alain : j’ai du mal à entrer dedans sans échauffement, difficulté, vu l’instrument, de réagir afin de garder un espace large lorsque la danse se rapproche.
Nicole : plutôt facile, jeu sur les dynamiques de résonances et d’oppositions, jouer avec l’élasticité.

-       Espace médium
Alain : Je l’ai ressenti triste.
Nicole : Je fais toujours les mêmes patterns, beaucoup de répétitions.

-       Espace serré
Alain : Belle fluidité.
Nicole : Je suis prise au piège.

-       Espaces mixtes : 
Nicole : très répétitif, peu de variations dynamiques, mais l’impulsion est toujours présente. Quand je veux faire dans le subtil, ça ne donne pas grand-chose. 
Alain : la danse est un peu carlsonienne, le pivot instrumental redéfinit le musicien en tant que tel (pas un musicien qui danse, mais un musicien qui bouge).
Difficulté à jouer autrement qu’en position assise, la notion d’empêchement est novatrice et riche, mais il faut trouver où se réserver des moments pleins musicalement.
Constat : ce n’ait pas le vouloir qui est la cause du son ni du geste sauf dans l’empêchement où je désire contourner l’empêchement pour continuer l’histoire sonore en conscience, qu’une autre histoire gestuelle se perpétue indépendamment et dans la même temporalité.
Nicole : je ne suis pas dans l’empêchement mais dans la liberté …
Alain : certes, sauf dans le contact. Il est donc important pour ce type de pièce, de penser une contrainte adaptée aux gestes du danseur dans les espaces larges et médiums qui créerait un empêchement comme cela se passe pour le musicien dont le déplacement empêche le plein jeu. A réfléchir …Peut-être un jeu de contraintes fortes comme par exemple : ne pas plier les jambes ou les bras, ne se déplacer qu’en marche arrière, ou se lever et retomber immédiatement. 

Dans l’exercice présent tout vient mystérieusement d’une rotation inévitable. 
La mémoire courte génère grâce au film une chorégraphie fantomatique qui revient hanter l’interprète analyste de son acte. Pourquoi se mouvoir et produire du son dans une gestuelle courbe ? Bien sûr, parce que la consigne le demande, mais qui régit la forme dynamique qui en découle ? Peut-être l’écoute exercée de l’improvisateur dont l’empêchement à produire les sons et gestes en fonction de l’énergie esthétique et vibratoire captée sur l’instant, produit un acte réactif fulgurant quelquefois étrange, mais celui-ci semble toujours produire pour le regard, une esthétique étonnamment naturelle, comme si les planètes, les galaxies, l’énergie à un moment ou un autre étaient contraintes ou destinées à la rotation (nous savons depuis Einstein que l’univers est courbe).
Dans l’acte en train de se jouer existe une rencontre de l’espace et du temps, de l’autre mais aussi d’un monde autre, un intermonde ou supramonde responsable de l’avènement d’une action poétique hors espace-temps. On observe chez les actants une non-volonté qui provoque sans raison autre que celle indiquée par la consigne : les placements, les rencontres, les torsions et distorsions, les équilibres dans l’élasticité de la scintillation d’un espace-rêve situé sur la ligne de fuite de toute conscience.
Les actants se trouvent dans un « écouter sans regarder » ou dans un « regarder le silence » en complémentarité, dans une esthétique de perceptions autonomes partageables.

De la délicatesse :
Commentaires à chaud
Alain : Les images du début sont celles que je cherche dans l’esthétique de la musique et de la danse en perpétuelle évolution. Il faudrait une attraction permanente sans réelle stase comme une aspiration et plutôt une approche par derrière quelque chose d’inéluctable.
Nicole : la fin musicalement ne me semblait pas dans la délicatesse. 
Alain : Ceci est intéressant car la réflexion met en avant la relativité et la différence. Nous n’avons pas la même conception des nuances ni du sens des mots, il est important de laisser l’interprétation libre de la spécificité émotionnelle due aux différences. C’est un juste milieu qu’il faut évaluer dans l’harmonie d’une contrainte commune.
Un autre point qui semble fondamental est que l’improvisation est un état, l’improvisateur un passeur. Il est rompu aux techniques de réceptions et d’émissions, il peut adapter sa perception à la consigne. Toutefois, lorsque de « l’extérieur » l’impérieuse nécessité impose de trahir la consigne l’espace d’une fulgurance, il doit laisser celle-ci se dérouler pour recanaliser ensuite l’énergie dans le respect de la consigne initiale. Ces hors-champs, hors-temps, hors-lieux sont très souvent porteurs d’une magie capable d’exacerber la beauté de l’interprétation. Il est donc important sans les chercher obstinément, de ne pas s’en priver lorsque cela survient.

Accents-coulés
Nicole : plusieurs malentendus, non-respect de la consigne.
Alain : temporalité un peu longue.

Pas de commentaires à chaud pour les actes : 14,15 et 16

Analyse réflexive
Cet atelier dédié aux corps des interprètes-improvisateurs confrontés au corps-objet que représente l’instrument de musique, permet la maitrise du concept Musique à regarder que j’ai créé dans les années quatre-vingt avec la pièce Sens contre sens. Une écriture pour mime-danseur et musiciens. Aujourd’hui, je souhaite utiliser l’esthétique de cette démarche dans une dimension non fixée. L’écriture complexe de la partition (originelle) est remplacée par une série de propositions simples mais rigoureuses, définissant l’état, l’espace, le cheminement, les qualités et la temporalité. La structure formelle proposée représente un cadre que les improvisateurs-interprètes doivent gérer librement dans le respect des contraintes proposées.
Comment la forme, le poids, la poétique, le remuement de l’instrument de musique, influence-t-il le geste du danseur et du musicien ? Comment le son existe-t-il dans cette autre configuration extramusicale mais pleinement artistique ? C’est un regard sur le corps nouménal. Être le corps et non avoir un corps, ni prendre corps. La durée approximative des actions est fixée à 3 minutes.
J’attends de cette série de propositions, une permanence créatrice, un merveilleux ordinaire fait de sa substance singulière qui aurait la faculté de pouvoir faire sa Mètis naturellement. Se fondre en trans-formant l’autre de l’autre, celui qu’en lui l’autre tait ou ne sait, ou ne sent peut-être pas encore à corps, cet élan pluriel qui sourd des profondeurs reliant l’immanence à l’égo transcendantal husserlien vers une suprasubjectivité (au-delà), une transubjectivité (qui traverse) et/ou une intersubjectivité (de entre ) kantienne.  
Prendre corps, donc, pour alchimiser à partir de son ipséité la perception de l’horizon et de l’être-actant qu’on rencontre, que l’on rend contre, afin que son touchant soit aussi tous champs dans un champ « d’incontrôle », d’un rôle contre rôle qui en détruit la notion même pour une entièreté non jouée, c’est-à-dire dans une fusion ordinairement naturelle et réflexive. Ce que j’appelle la justesse par un reversement de l’interrogation est-ce juste ? (juste est-ce ?). 

Le déroulement exploratoire des mots a une fonction « agricole » dans le sens de planter, de rendre meuble, d’arroser pour masser le germe substantiel afin qu’il croisse mieux, qu’il prenne forme hors sol comme un mot (poème) prend son hors livre lorsque la langue résonne, chevauche les particules d’air. Lorsqu’en quelque sorte, il réalise son voyage jusqu’à l’extinction qui s’opère en un long décrescendo. Une langue musique qui prolonge ou précède le geste, lequel prolonge ou précède le son instrumental, pour ne pas « forcer », c’est-à-dire pour ne pas jouer dans le sens de donner forme, pour crédibiliser un personnage ou une fonction. Ici ce qui est recherché ou montré, c’est l’acte accompli par nécessité non par réflexe, mais sans préméditation sans ordre, sans cause volontaire[7]. Seule la consigne qui est une proposition rigoureuse, purement formelle et temporelle est originaire de ce qui se produit par nécessité. Le résultat est juste en tant qu’il est approprié à la structure préalablement définie par le propositeur. On peut décrire le phénomène où les corps se placent et se déplacent, se frôlent, trouvent appuis, glissent et rebondissent afin de simplement faire vivre le chemin menant du point A au point B en vibration adéquate de voisinage.

Que peut un corps ? Quelle est l’influence notoire du geste sur le son de l’instrument ? Si celui-ci est empêché par un autre corps, celui duquel on est à l’écoute, la volonté d’accomplir malgré tout la tâche qui était en cours et qui se trouve interrompue par un geste qui n’est pas le nôtre doit être chassée. Une autre nécessité s’impose qui a sa propre logique nous devons alors nous servir de « l’accident » pour la transformer en nouvelle proposition. Il va de soi que nous naviguons en dehors d’une recherche de résultat esthétique volontaire, vers une coréalisation naturelle ordinaire dans son sens d’ordre des choses et des faits qui les produisent. On constate que ce qui survient naturellement induit par la contrainte et par l’aléa qu’elle occasionne produit un résultat particulier.
Nous ne sommes ni dans la danse, ni dans la musique, ni dans l’art visuel et sonore, dans le sens où on comprend ces termes qui renvoient à des champs normés (style ou genre : contemporain, populaire, expérimental…). Ici, il y a de fait, remuement corrélé naissant d’une nécessité cachée. Il y a du son relié à une situation, il y a une image sculpturale évolutive non fixée, sporadique, fulgurante « naturelle ».
Par expérience de pensée, je compose un environnement imaginal comme poétique d’un espace concertant dont le territoire prospectif serait le spectacle vivant, la conférence performative, l’installation ou le film d’art soumis au contrepoint de formes.  

Possibilités d’exploitation de ce travail :
Dans le cadre d’une performance, d’une installation d’art visuel et sonore ou d’un spectacle vivant, la réalisation de l’acte sonore et gestuel réalisé en direct pourrait être conjugué avec une diffusion filmique sur plusieurs écrans. Une partie des films provenant des mémoires collectées durant l’atelier, d’autres de captations en direct proposant des points de vue inaccessibles frontalement (ceci nécessite une prise de vue et de son ainsi qu’une diffusion-transformation en temps réel). Toutefois, la première utilisation de cet atelier servira à la réalisation d’une série de films d’art.
Voir lien pour : 
A mer- Accelerando-Decelerando- Aspiration1- Aspiration 2 récurrence- De mémoire vive- Dos à dos quatuor- Dos à dos sextuor- Quatuor aux abeilles- Rencontre- Valse blanche.
Quelques énonciations poétiques

Aspiration
…une aspiration caresse le sol…glissement naturel… humus imaginé par-delà le mental incertain ...il y a des vagues de temps    de l’écume d’air soufflant le tourment de marges laboureuses...     plus loin     les dunes dessinées creusent la mer par la anse … danse-dune  inversée soufflant  un peu de terre en reflet    au suspens de la lune qui baigne ses courbes de lumière...     que dire encore des formes se mouvant dans le bois   de la peau animale encore vive...tendue...et du  poil resté dru   malgré les caresses où les ongles et la pointe de l’archet  réinventent un arc sans cible… sensiblement reconstruit  d’un cercle à dérouler... à prolonger... sans doute à l’infini ...stalactites et stalation...là c’était mon nom alain...fini...alain…stant étiré...alain...stalation...toujours en construction  puisque là est sa  fonction …instant d’après l’instant …dans l’espoir d’y trouver l’infini qui guette ..on le pressant derrière juste derrière ou juste avant dans la passe transitive d’une transe formation la permettant    lorsqu’elle touche au juste encore avant …avant le juste qui passe justement l’écho d’un hors temps sans espace dans un lieu de violence apaisée   appelé volonté   mais volonté sans maître …
mais qui veut qui n’est pas ?  question sans réponse …sans être  ou peut-être …pour être juste hors classe    hors champ  hors lieux    hors temps ou juste justement  avant que ça se passe



Bigidi
Lena Blou danseuse-chorégraphe Guadeloupéenne appelle ainsi cette trans-forme qui fait naître la danse d’un déséquilibre … « trébucher mais ne pas tomber » nous dit-elle. 
…fluide par son prénom  
Europe liquide couchée à l’Est de la mémoire  
dont l’eau transsibérienne s’écoule vers Laptev 
elle est sœur de Volga qui cherche la Caspienne 
Lena        Blou  
danse-désert heurtée flottant sur ton caillou 
s’élève de ton sein une semence claire 
surfant par les rhizomes que déroulent Glissant… 
glissant sur les reflets de Gilles et de Felix 
aux marges des frontières
une ligne de fuite qui déroule sa courbe infinie 
repoussant l’esquisse d’horizon  du tout-monde
des falaises d’ébène face au souffle d’Eole  
aspirent dans ta langue ta volonté créole.

Quatuor Abeille
Avalé en vallée  danse en lavande en veille     elle vole
 moi  je ne sais pas 
superposer le rêve  au temps écartelé         
ensemencer l’espace de pollen aspiré dans les anses de souffle
nous sommes deux ou trois     là  assis  en attente 
mais je ne les vois pas 
et toi combien es-tu ?   abeille de mémoire 
qui drone  un concerto nécessaire à la tâche dont l’existence boit  
aux doigts de nos ans vie lorsque le son retourne
une envie au long  celle qui   gonfle 
gémissant les harmonies- tourments 
d’une pensée nomade
elle vole    elle   vole 
moi         je ne sais pas 



Dos à dos
...corps aux bas fantomatiques
transparence et opacité         échelle instable         glissement                 multiplication       interrogation            
“Dos à dos” 
c’est sentir la vibration commune de l’espace et du temps 
qui traverse sans l’aide du regard 
qui filtre et prive 
c’est sans doute plus haut 
que le mental en plongée perse le bleu du ciel 
dans l’acte naturellement libre 
qui survient au-delà du Je 
dans cet hors-lieux lumière       
nous sommes légion...

Valse Blanche
un scintillement clair    un effet-spectre    un vent de forme anthropophone
les pétales blancs   de mots-sons   en rafales
remontent le courant
le verbe enfante la vallée …avalé en aval 
la valse comme val…ce val qui n’est plus qu’une courbe de danse 
protégée par le son infusé du regard
…ionisation mentale … une union de ions libres    sonnant le glas d’amours diffus recomposant le nombre



Par expérience de pensée, je compose un environnement imaginal comme poétique d’un espace concertant dont le territoire sera le film.

Analyse comparative de l’atelier de création Corps-Instruments, afin de situer la démarche dans le champ épistémologique des disciplines qu’elle concerne. 
Où rencontre-t-on une pratique approchante entre son, mouvement et esthétique plastique ?
Les rapports musique-danse ont peu ou pas intéressé les musiciens-interprètes de musique classique ou contemporaine. Quelques compositeurs s’y sont penchés par nécessité professionnelle (lorsqu’ils avaient une commande d’un chorégraphe), mais les seules expérimentations réelles sont venues de la musique improvisée, du free-jazz puis des musiques du mondeoù quelques productions isolées ont été réalisées. Bien sûr, il existe dans certaines musiques un rapport fusionnel entre danseur et musicien (flamenco, musique africaine, indienne…), mais le musicien est responsable de la musique et le danseur du mouvement. Des démarches plus pertinentes se sont développées à partir des années soixante-dix, souvent à l’initiative de chorégraphes comme Alvin Nicholaïs qui était musicien et plasticien, ce qui l’a amené à expérimenter le rapport étroit qui unit la peinture- sculpture à la danse par le truchement des costumes et de la lumière. Il soumettait la gestuelle de ses danseurs à une réflexion plastique et quelquefois sonore en utilisant des costumes musicaux par exemple. Alvin faisait souvent sa propre musique en improvisant en direct à l’aide de percussions et de sons électroacoustiques. J’ai pour ma part assisté à quelques un de ses travaux lors d’ateliers ouverts qu’il menait avec Murray Louis. J’ai également été présent dans certaines expérimentations de Carolyn Carlson (ancienne danseuse d’Alvin) qui aimait chercher de nouvelles voies en improvisant avec des musiciens improvisateurs de haut rang comme Barre Phillips, John Surman et Stu Martin. 
Toutefois, dans ces essais syncrétiques, les disciplines restaient soumises à une hiérarchisation, le son et les arts visuels étant au service de la « danse ».
Merce Cunningham, John Cage et Robert Roschenberg ont également exploré les rapports étroits unissant le son, les arts visuels et le mouvement mais dans une approche superposée, sans réelle écoute entre les disciplines. Bon nombre de chorégraphes ont continué à explorer ces chemins prometteurs. Je pense à Ingeborg Liptay avec Morton Potash ainsi qu’à un degré moindre à Dominique Bagouet et Jean Rochereau dans les années 1970-80.
J’ai personnellement travaillé et expérimenté avec ces artistes pour m’engager dans une voie plus exigeante en ce qui concerne les rapports étroits musique-danse-arts visuels,  notamment avec les danseurs Jean Rochereau, Jean Guizerix, Wilfrid Piollet et Jean Christophe Paré ainsi qu’avec la danseuse Geneviève Choukroun avec laquelle j’ai créé en 1976 Messe Bleue, un travail musique-danse complètement interactif et improvisé qui utilisait une installation sonore comme scénographie et le principe du déséquilibre comme moteur. Ça n’est que trente ans plus tard que j’ai rencontré Lena Blou en Guadeloupe, qui m’a fait part de son travail sur le Bigidi (trébuché), qui a alimenté sa recherche sur l’esthétique du Goka et abouti à une nouvelle forme de danse qu’elle enseigne de par le monde.
Le contrebassiste Barre Phillips a durant toute sa carrière, consacré régulièrement un temps à l’expérimentation musique-danse, souvent sous la forme d’ateliers ouverts où danseurs et musiciens essayaient de pratiquer une improvisation satisfaisante pour chaque discipline. Le danseur Julien Hamilton a expérimenté une forme hybride avec Barre. Dans cette expérience, l'improvisation musicale se développe en regardant la danse, (vitesse, énergies, déplacements, qualité du geste...). Celle-ci réagit en intégrant le phrasé musical dans ses mouvements. Peu ou pas d'interférence directe, d'où émergerait la possibilité d'une forme autre qui naîtrait de la fusion des deux disciplines sans pour autant qu'elles se substituent l'une à l'autre. 
En 1987 j’ai écrit et dirigé la première pièce de Musique à regarder pour percussions, deux guitares et un mime, sur un poème de Rory Nelson.  En 1992, répondant à une commande du Chorégraphe Jean Rochereau, j’ai imaginé un système de propositions à contraintes réglant l’ensemble des paramètres d’un spectacle (thème, textes, musique, chorégraphie, scénographie, régie son et lumière, prolongements acousmatiques…). Nous avons abouti ce processus dans la création intitulé Le Béret de Michel pour quatre musiciens et six danseurs dont B. Achiary, M. Doneda, B. Phillips, J. Rochereau, J. Guizerix…


[1] Cette consigne est à distinguer de celle d’écoute paradoxale qui fait partie de mon vocabulaire de propositeur. Il s’agit d’un type d’écoute particulier où chacun évolue dans un mode choisi qu’il développe ou répète sans aucun lien avec l’autre mais toujours l’observant afin d’en être un spectateur « dissocié ». Ici le paradoxe ne se situe que dans l’éloignement des actants (se rencontrer de loin). 

[2] Bigidi signifie trébucher en créole. 

[3] Compositeurs contemporains travaillant sur le dépassement du jeu instrumental traditionnel.
[4] Proximité de cette pensée avec celle inhérente à la musique massique de Xenakis.
[5] V.Khlebnikov : Zanguezi
[6] Heidegger : être et temps
[7] Ce qui survient n’a pas pour cause la volonté de faire. Ce constat rejoint une partie de la pensée de Wittgenstein au sujet du geste dans son exemple lever le bras. La volonté n’apparait que s’il y a empêchement.

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